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La dématérialisation, transformer une obligation légale en levier de performance (2ème partie)

La dématérialisation, transformer une obligation légale en levier de performance (2ème partie)

Le carrefour "donnée".

"Ce n’est évidemment pas par hasard qu'administration et cybernétique se rencontrent au carrefour de la notion d'information. Nous avons vu, en effet, que l'information est génératrice d'ordre, qu'elle s'oppose à une distribution purement probabiliste des événements et s'analyse en définitive en une "entropie négative".

Or, administrer c'est bien lutter contre la pente naturelle des événements, en recherchant la distribution optimum des biens des services et de leurs moyens et conditions de production, dans l'espace et dans le temps. Pour ce faire, l'administration doit recueillir l'information, la véhiculer, la transformer, la renvoyer.
Mais, c'est la transformation de l'information qui est au cœur de l'opération administrative. C'est à son niveau que se situe la notion de stratégie, car l'information est rarement complète (…)."

Lucien Mehl "La cybernétique et l’administration" - La Revue Administrative, n°58, juillet-août 1957

Les manières d’évoquer "la donnée" ou les "data" paraissent converger vers la conviction qu’elles sont un atout très précieux pour qui en possède, pourvu qu’elles soient de qualité, fiables, à jour etc. L’administration n’échappe pas à cet emballement pour la donnée puisque, depuis longtemps semble-t-il, "l’information" et sa qualité apparaissent comme des moyens d’amélioration de l’activité administrative. On comprend sans mal l’intuition sous-jacente consistant à estimer qu’une bonne décision est une décision informée de façon optimale. Or, la dématérialisation et, pour aller plus loin, la numérisation de l’activité administrative consiste précisément en une mise en donnée de ladite activité, c’est-à-dire la transposition dans le nouveau langage qu’est l’informatique.

Or, cette transposition, si elle revêt des aspects parfois contraignants, permet alors à l’activité administrative de bénéficier des atouts de la gestion numérique. On pense notamment à la capacité à traiter une grande quantité de données en en faisant ressortir des tendances grâce à une analyse quantitative rapide et efficace. Ainsi certains acheteurs ont-ils déjà des ensembles de données très précis sur leurs achats passés comme les montants, la durée ou encore la forme contractuelle susceptibles de les aider à analyser leur démarche d’achat présente et ainsi d’optimiser le coût de la satisfaction de leur besoin.

Il reste qu’avant d’en arriver à une exploitation pertinente de la donnée l’étape de la saisie constitue une phase décisive et moins anodine qu’il n’y paraît. En effet, comme évoqué plus haut, la "mise en donnée" de l’action administrative se traduit par la saisie, effective et bien réelle, de données dans certains outils. Or, cette seule opération soulève une problématique carrefour puisqu’elle implique que des acteurs différents se réunissent autour d’un langage commun. En effet, une fois saisie, la donnée doit pouvoir circuler entre services aux fins d’être exploitée par chacun d’eux. Dans ce monde, certes un peu idéal, la ressaisie est alors évitée.

Texte part 2 avec image

Au moins deux obstacles organisationnels sont alors rencontrés : quel service pour cette première saisie ? Quel langage pour cette saisie ?

Ces deux questions étant liée, on retrouve la nécessité de faire se rencontrer l’ensemble des acteurs intervenant dans la chaîne d’achat :

  • acheteurs
  • juristes
  • comptables
  • métiers...

Le fait que chaque acteur dispose de son langage pour évoquer un contrat, un engagement, un mandat, un lot, un service n’est pas un obstacle mais une occasion de rencontre pour la détermination d’une sémantique commune. Concomitamment, le problème du service saisissant cette donnée paraît au moins aussi épineuse.

Si on prend l’exemple du montant d’un accord-cadre à bon de commande à lot unique pour "faire simple" : même si le besoin doit être estimé, les acheteurs savent que la quantité effectivement consommée est difficile à anticiper avec précision en l’état actuel des choses. Dès lors, le montant saisi en amont, même s’il correspond par exemple aux crédits budgétaires affectés à cet achat, est insatisfaisant. Du reste, les dépenses effectivement engagées sont, en principe, suivies tout à la fois par le métier dont le besoin est satisfait par l‘achat et par la gestion financière qui effectue les paiements. Or, ces sommes ne remontent pas nécessairement au niveau de l’acheteur et/ou du service commande publique. Il y a donc une vraie problématique de saisie de ces données financières dont aucune n’est proprement "fausse" mais renvoie, en fait, à des informations différentes. L’exemple met en évidence à quel point la qualité de l’action administrative, liée à la qualité de la donnée, se trouve dès le départ liée à la qualité de la sémantique.

Une fois la question de la saisie abordée, l’exploitation offre de réelles opportunités de professionnalisation de la fonction achat. En effet, la mise en donnée et son exploitation offrent une connaissance plus fine des besoins, tant d’un point de vue matériel que d’un point de vue financier. La bonne gestion des deniers publics serait très largement bénéficiaire d’une telle exploitation. En effet, la maitrise des couts et l’optimisation de la dépense achat n’est possible que sous la réserve préalable d’une connaissance fine de ces coûts. Par suite, cette mise en données offrira d’autres opportunités comme celle déjà mise en place par le GIP Maximilien avec l’observatoire des clauses sociales. L’outil permet d’avoir une vue sur les données sociales des marchés passés en Île-de-France. Un tel observatoire sera certainement décliné dans le temps pour une multitude d’autres problématiques.

Il reste que posséder des données de qualité et les utiliser ne sera pas pleinement efficace en l’absence d’outils adaptés au but poursuivi. A l’occasion du prochain article, il s’agira d’interroger les modalités de construction des outils d’exploitation des données.